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Le carillonneur et les grands carillons en Suisse
Article publié dans la Revue Musicale Suisse, janvier 2014.
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On considère souvent l’orgue comme étant le plus grand et le plus lourd des instruments. C’est oublier le carillon, qui peut regrouper plus de quarante cloches dont les plus lourdes pèsent plusieurs tonnes. Il existe six de ces instruments en Suisse.
Daniel Thomas — Le mot carillon a son origine dans le latin populaire quadrinio ou le latin quaternio, termes signifiant groupe de quatre. Les premiers carillons mécaniques du Moyen Age comportent quatre cloches. Dès cette époque et jusqu’à nos jours, on trouve en Suisse quantité de petites installations campanaires, avec quelques cloches: quatre, cinq ou six. Ce sont des installations jouées de manière très rudimentaire, simplement avec des chaînes et des cordes attachées au battant de la cloche et actionnées par les mains ou les pieds. On trouve aussi de petits claviers très simples avec grosses touches en bois ou bâtons, actionnés par le carillonneur debout dans un jeu assez sommaire. On peut citer quelques-uns de ces petits carillons avec des claviers rudimentaires en bois: en Valais à Bourg-Saint-Pierre (6 cloches) et Salvan (8 cloches), ou dans le canton de Fribourg à Gruyères (8 cloches) et Bulle (10 cloches). Au Tessin, on en trouve avec des claviers en métal, par exemple à Muralto (5 cloches) ou Bellinzone.
L’art du carillonneur va pouvoir se développer en Suisse avec l’apparition de plus grands instruments permettant un jeu beaucoup plus riche, nuancé et complexe, proche du piano ou de l’orgue par la richesse de ses possibilités expressives. C’est l’introduction du grand carillon en Suisse qui permettra à l’art du carillonneur d’accéder à un niveau de concert, professionnel.
archiv_01_Focus_CarillonneurLes grands carillons
La Fédération Mondiale du Carillon (FMC, www.carillon.org) définit le carillon comme «un instrument de musique composé de cloches en bronze, accordées et jouées au moyen d’un clavier à bâtons. Seuls les carillons d’au moins 23 cloches seront pris en considération.»
En Suisse, il existe six carillons à clavier mécanique de plus de 23 cloches, dont cinq en Suisse romande (liste ci-contre). Un grand carillon est — avec l’orgue — le plus grand, le plus lourd et le plus impressionnant de tous les instruments de musique. Avec sa sonorité venant comme du ciel, il emplit de ses sons tout un grand espace. Les carillons possèdent aujourd’hui habituellement trois ou quatre octaves (entre 35 et 49 cloches environ), dont les plus lourdes peuvent peser jusqu’à plusieurs tonnes. L’art du carillon est né il y a quelques siècles dans les Flandres (actuellement les Pays-Bas, la Belgique et le nord de la France). Ce sont ces régions qui abritent aujourd’hui encore le plus de grands carillons et de carillonneurs.
Une cloche de carillon est une cloche coulée en bronze et en forme de bol, bien accordée. Les sons partiels sont en relations harmonieuses les uns avec les autres, de façon à permettre de les sonner ensemble en accords variés, avec harmonie et effet concordant. Les carillons sont joués par un carillonneur à l’aide d’un clavier et d’un pédalier. Les grandes touches en bois (des bâtons), reliées par une transmission mécanique au battant des cloches, permettent un toucher très sensible et musical, à l’égal du piano sauf qu’il n’y a pas de système pour étouffer le son. La cloche sonne librement une fois frappée.
Le premier carillon suisse apparaît en 1926 à l’église de Carouge. Il possède 28 cloches et un clavier à grosses touches de piano (ce n’est donc pas le clavier standard des carillons, qui sont à bâton). Ce type de clavier a été utilisé en Europe au début du 20e siècle puis a été abandonné un peu partout sauf à Genève. La Cathédrale de Genève est équipée en 1931 de 16 cloches, avec clavier à grosses touches de piano. Ce carillon passera à 20 cloches en 1986 et à 37 en 2011.
En 1953, Marc Vernet, le pasteur de l’église de la Rosiaz à Pully, qui avait été pasteur et carillonneur en Belgique auparavant, introduit en véritable pionnier le carillon à bâtons de type flamand en Suisse. C’est le Carillon de Chantemerle, doté de 19 cloches. Sur ses conseils, on construit à Lens en 1967 un carillon de 23 cloches avec un clavier à bâtons. Il passera à 24 cloches en 2011.
En 1985, un carillon de 16 cloches est offert à Zofingen par les sections cantonales des Vieux-Zofingiens de Suisse à l’occasion du centenaire de cette société. Ce carillon passera à 24 cloches en 1996.
La Guilde des Carillonneurs et Campanologues Suisses est créée en 1991 (www.campanae.ch).
Avec 36 nouvelles cloches de Ruetschi (on a vendu les anciennes, jugées de mauvaise qualité sonore), Carouge devient en 2001 le premier grand carillon de 3 octaves en Suisse. Des concerts sont donnés le samedi à 11h sur la belle place du marché.
Le 22 septembre 2004, un nouveau carillon est inauguré dans l’imposante tour romane de l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais, grâce à l’action de son carillonneur François Roten. Cet instrument comprend 45 nouvelles cloches de la fonderie Eijsbouts (Pays-Bas), ainsi que quatre cloches anciennes reprises de la sonnerie en volée. C’est le premier carillon de quatre octaves en Suisse, et aussi le plus grand, par le nombre de cloches et le poids
Au moment où se prépare cet article, 24 nouvelles cloches sont en train d’être moulées et fondues à la fonderie Simon Laudy de Beerta aux Pays-Bas (Klokken- en Kunstgieterij Reiderland) pour compléter le Carillon de Chantemerle de Pully, sous l’impulsion de son carillonneur Daniel Thomas.
On aura donc bientôt un deuxième grand carillon de quatre octaves en Suisse permettant l’interprétation des grandes pièces du répertoire et aussi les musiques pour deux carillonneurs, les quatre mains et quatre pieds. Le dessin des profils des nouvelles cloches et leur accordage est assuré par le carillonneur d’Amsterdam, Gideon Bodden, qui est aussi technicien campanologue.
Nous ne parlerons pas du tout ici des carillons automatiques ou à transmission électrique qui n’intéressent pas le carillonneur (ils ne permettent pas un toucher musical et nuancé).
Exercices et formation
Le carillonneur ne peut pas pratiquer ses exercices et apprendre ses pièces sur son carillon, parce que tout le monde dans le voisinage l’entend et qu’il s’agit d’éviter les fausses notes et ne jouer ses pièces qu’une fois qu’elles sont bien prêtes. Il a donc besoin d’un instrument d’exercice chez lui ou à l’intérieur de l’église: ce sont en général des instruments de 4 octaves avec un clavier et un pédalier de même type que ceux des carillons dans les clochers, mais avec un son très doux produit par des lames de métal comme un vibraphone, par des cloches tubulaires ou par des sons de carillons enregistrés. Il peut ainsi s’entraîner en toute quiétude, sans craindre de déranger.
Il n’existe pas d’école de carillonneur en Suisse. Pour trouver une formation de niveau professionnel et préparer un diplôme de carillonneur, il faut voyager en Hollande ou en Belgique et cela peut se faire en allant sur place quelques jours tous les un ou deux mois pour suivre les cours. Naturellement, il faut pour cela disposer d’un instrument d’exercice pour la pratique et la préparation des cours.
La Hollande abrite deux écoles: celle d’Amersfoort « Nederlandse Beiaardschool » et celle de Dordrecht « Carillon Instituut Nederland ». En Belgique se trouve depuis 1922 l’Ecole Royale de Carillon à Malines (ou Mechelen). En France, le Conservatoire de musique de Douai possède une classe de carillon. En dehors de ces écoles, il reste toujours possible de prendre des cours privés avec le carillonneur de son choix.
Le répertoire du carillonneur
Le répertoire est constitué principalement de compositions originales pour carillon, de transcriptions d’œuvres classiques, et de variations personnelles ou improvisations. Les carillons possèdent habituellement quatre octaves (48 cloches environ), c’est la dimension standard de l’instrument, pour laquelle est écrite la majorité du répertoire spécifique. Dans les Flandres, on a écrit des compositions originales pour carillon depuis le 18e siècle; le répertoire disponible est donc vaste. Les carillonneurs utilisent aussi beaucoup de transcriptions d’œuvres en tous genres, en cherchant celles qui sonnent le mieux sur des cloches, soit en réalisant eux-mêmes ces transcriptions, soit en adoptant celles que d’autres collègues ont publiées. Ils pratiquent aussi beaucoup le procédé de la variation sur des mélodies connues du public, soit par des variations improvisées comme c’est d’usage dans les Flandres lors des concerts donnés aux heures de marché ou de grande affluence dans les rues, soit par des variations mises par écrit.
Le métier de carillonneur professionnel
En Suisse, il y a encore trop peu de carillons de plus 24 cloches pour permettre l’activité d’un carillonneur professionnel à plein temps: on compte dans un pays du carillon comme la Hollande qu’un carillonneur doit être titulaire de trois ou quatre carillons pour avoir une activité professionnelle à plein temps. Il y a en effet, à côté des grands concerts d’été bien annoncé dans la presse, généralement un concert hebdomadaire du carillonneur, parfois pendant le marché. Le carillonneur professionnel aura donc trois ou quatre moments par semaine à ses carillons, à côté d’une activité de concertiste lors des grands concerts d’été ou sur d’autres carillons. Ceci n’est pas encore possible en Suisse, mais une activité de carillonneur professionnel à temps partiel est possible en la combinant par exemple avec celle d’organiste ou de pianiste.
Le carillon et le ciel
Le carillonneur joue du haut des tours et porte au loin. Sa musique vient d’en haut, il fait chanter le ciel, à voix ouverte dans le paysage. Le promeneur tourne son regard aux accents lointains des cloches; il aperçoit le clocher et entend entre les feuillages les mélodies chantantes des cloches du carillon. La musique de carillon est une voix qui suit le vent, portée par les brises, et qui fusionne avec le ciel et les nuages. On sent comme parler et chanter l’invisible, le céleste dans la transparence bleutée de l’air sonore.
Daniel Thomas
…est carillonneur au Carillon de Chantemerle à Pully et membre du comité de la Guilde des Carillonneurs et Campanologues Suisses.
Références
Glocken – Lebendige Klangzeugen / Des témoins vivants et sonnants. Confédération Suisse, Office fédéral de la Culture, 2008.
Le site de la Guilde des Carillonneurs Suisses: www.campanae.ch et la revue de la Guilde «Campanae Helveticae».
<Encadré>
Les grands carillons de Suisse
Genève
- Carouge, église Sainte-Croix, 36 cloches (fa#3, sol#3 – fa#6; 1 Aubry XVII, 1 Piton 1789, 1 Kervand 1839, 33 Rüetschi 2001). Carillonneurs: Constant Deschenaux, Andreas Friedrich et Yves Roure.
- Genève, Cathédrale, 37 cloches (mi3, la3, si3 – la6; 1 Fribor vers 1460, 16 Paccard/Rüetschi 1931, 1 Rüetschi 1991, 19 Paccard 2011). Carillonneur: Vincent Thévenaz.
Vaud
- Pully, église de la Rosiaz, carillon de Chantemerle, 24 cloches (48 cloches, dès 2014) (la3, si3 – la7; 19 Eijsbouts 1953, 5 Perner 2011, 24 Simon Laudy 2013). Carillonneurs: Daniel Thomas et Jean-François Cavin.
Valais
- Lens, Eglise Saint-Pierre-aux-Liens, 24 cloches (do3, fa3, sol3, la3 – fa5; 2 Rüetschi 1958, 21 Rüetschi 1967, 1 Rüetschi 1995). Carillonneur: Jean-Daniel Emery.
- Saint-Maurice, Abbaye, 49 cloches (sol#2, do#3, ré#3 – do#7; 2 Dreffet 1818, 1 Rüetschi 1947, 1 Paccard 1998, 45 Eijsbouts 2003). Carillonneur: François Roten.
Argovie
- Zofingue, Stiftsturm, 25 cloches (do4 – do6; Rüetschi 1983/1985/1989/1996/1997/2005). Carillonneurs: Andreas Friedrich et Karl Kipfer.